L’Afrique et l’Observation de la Terre : Vers une Collaboration Spatiale Innovante

Le continent africain se trouve à un tournant décisif, avec l'observation de la Terre (OT) jouant un rôle essentiel pour relever ses défis uniques et libérer son immense potentiel. Le 23 septembre 2024, lors de son discours d'ouverture à l'EO Africa Symposium, le Dr Tidiane Ouattara, Président du Conseil de l'Agence Spatiale Africaine (AfSA), a mis en lumière les progrès réalisés par l'Afrique dans les activités spatiales et tracé la voie à suivre pour un futur durable et intégré. Retour sur son discours.




Ce discours a lieu à un moment charnière pour le secteur spatial africain. Il met en lumière le potentiel de l'espace à stimuler le développement, l’innovation et la durabilité. Grâce à des efforts concertés et à une collaboration renforcée entre l’Afrique et l’Europe, la vision d’un écosystème spatial africain florissant est désormais à portée de main.

Un Dialogue Inédit pour un Leadership Africain

Pour la première fois depuis son élection en février 2024, le Dr Ouattara s’adressait à un public européen en tant que Président du Conseil de l’AfSA. Il a exprimé sa gratitude envers les dirigeants des agences spatiales africaines et européennes, ainsi qu’envers la Commission européenne et l’Agence spatiale européenne (ESA), dont le soutien a été crucial pour la création de l’AfSA.

L’AfSA, qui servira les 55 nations africaines, est le fruit d’une politique visionnaire de l’Union africaine (UA) reconnaissant l’espace comme un catalyseur essentiel pour atteindre les objectifs de l’Agenda 2063. Cependant, comme l’a rappelé le Dr Ouattara, l’OT n’est qu’un des quatre segments clés de l’espace africain. Les communications par satellite, la navigation et l’astronomie doivent également être intégrées dans une stratégie globale.

Un Aperçu de l’Économie Spatiale Africaine

Le secteur spatial africain connaît une croissance prometteuse, mais l’OT représente encore une part modeste du marché mondial : 0,88 %, soit environ 170 millions USD. Malgré une croissance notable de 13,83 % entre 2019 et 2021, l’Afrique doit relever des défis majeurs : ses 245 infrastructures terrestres actuelles sont insuffisantes pour couvrir un continent de 30 millions de kilomètres carrés.

Ainsi, la collaboration entre nations, secteurs et institutions est cruciale pour renforcer les capacités existantes et permettre une exploitation optimale des technologies spatiales. Comme l’a souligné le Dr Ouattara, l’espace ne se limite pas à l’innovation technique, mais constitue un levier stratégique pour le développement durable.

L’Écosystème d’OT et les Objectifs de Développement Durable

Le Dr Ouattara a décrit un écosystème africain d’OT comprenant le secteur public, le secteur privé, le milieu académique et les ONG. Traditionnellement dominé par le secteur public, cet écosystème doit évoluer vers une implication accrue du secteur privé et une adaptation des formations académiques aux besoins du marché.

Si l’OT peut jouer naturellement un rôle central dans la lutte contre des défis transversaux tels que la rareté de l’eau, le changement climatique et le développement agricole, seuls 169 projets d’OT sont actuellement en cours sur le continent (soit une moyenne de trois projets par pays). Son potentiel reste sous-exploité. Le Dr Ouattara a insisté sur la nécessité d’amplifier ces efforts, notamment dans des domaines critiques comme l’agriculture, où certains pays pourraient soutenir jusqu’à 10 projets ou plus.

GMES & Africa : Une Réussite Panafricaine et Communautaire

Le programme GMES & Africa (G&A) illustre parfaitement le pouvoir transformateur de la collaboration entre l’Afrique et l’Europe. Mené par la Commission de l’Union africaine avec le soutien de la Commission européenne, ce programme a démontré que les institutions africaines pouvaient collaborer efficacement malgré leurs priorités variées.

Le Dr Ouattara a souligné la confiance exemplaire accordée par la Commission européenne, non seulement en finançant le programme, mais aussi en permettant à l’Union africaine d’en prendre la direction. Cette autonomie a permis de produire des résultats tangibles, notamment dans la lutte contre l’insécurité alimentaire, l’intégration régionale et la promotion de solutions concrètes pour répondre aux défis du continent.

Parmi ses contributions les plus marquantes, le programme a permis de former plus de 10 000 jeunes Africains, développant ainsi une base de compétences locales capable de soutenir l’évolution du secteur spatial sur le continent. De plus, G&A a favorisé la création de réseaux inclusifs essentiels pour le développement d’un écosystème durable. Parmi ceux-ci, Women in G&A, parti d’un petit groupe, compte désormais plus de 200 femmes engagées dans le domaine spatial. Un autre succès notable est le consortium académique, qui rassemble plus de 40 universités francophones et anglophones, renforçant ainsi la coopération scientifique et éducative à l’échelle panafricaine.

Ces initiatives démontrent que le programme G&A n’est pas seulement une réussite technique, mais aussi un levier pour l’autonomisation, la cohésion et la durabilité dans le domaine de l’observation de la Terre en Afrique.

Un Enjeu de Stratégie plutôt que de Financement

Cependant, le développement des entreprises africaines spécialisées dans l’OT est confronté à des défis majeurs, et le financement, bien que crucial, n’est pas le seul obstacle. Comme l’a souligné le Dr Tidiane Ouattara, le problème réside davantage dans les approches entrepreneuriales que dans l’accès aux fonds. Par exemple, pour attirer des financements durables, les scientifiques et les entrepreneurs doivent démontrer aux décideurs que des priorités clés – comme la sécurité alimentaire ou la gestion de l’eau – nécessitent des innovations scientifiques et technologiques fondées sur l’OT.

Actuellement, la majorité des entreprises privées africaines de ce secteur dépendent de stratégies de démarrage limitées, souvent appelées bootstrapping, pour financer leurs activités. Malheureusement, de nombreuses études montrent que ces entreprises échouent dans un délai de trois à cinq ans, faute de ressources suffisantes et de cadre structurel adéquat. Cela souligne l’urgence de mettre en place des cadres réglementaires solides pour soutenir le secteur privé, tout en favorisant la collaboration avec le milieu académique. Cette coopération permettrait de transformer la recherche en produits et services adaptés aux besoins du marché.

Les Tendances Redéfinissant le Secteur de l’OT

Parallèlement, les tendances technologiques mondiales transforment rapidement le secteur de l’OT en Afrique. L’avènement du New Space a rendu l’OT plus abordable et accessible, permettant aux gouvernements de l’intégrer dans des secteurs économiques stratégiques. L’intelligence artificielle (IA) et la démocratisation des données rendent les données d’OT non seulement plus accessibles, mais également exploitables, ce qui est essentiel pour générer de la valeur et encourager leur utilisation à grande échelle.

Faciliter, plutôt que restreindre, l’accès aux données est essentiel pour stimuler l’innovation et créer des opportunités économiques. Les entreprises capables de combiner ces technologies avec une vision claire des besoins locaux et régionaux auront un avantage compétitif, tout en contribuant à relever les défis critiques du continent.

Un Appel à une Approche Intégrée

Pour que l’écosystème des entreprises d’OT en Afrique atteigne son plein potentiel, une approche intégrée est nécessaire. Cela inclut le renforcement des cadres réglementaires, la mobilisation de financements stratégiques et une collaboration accrue entre le secteur privé, le secteur public et le milieu académique. En alignant les priorités scientifiques sur les besoins des décideurs et en adoptant les technologies émergentes, l’Afrique pourra transformer son secteur d’OT en un moteur d’innovation et de développement durable, capable de répondre aux attentes locales tout en contribuant à une prospérité régionale et continentale.

Une Vision Partagée pour l’Avenir

En conclusion, le Dr Ouattara a exprimé sa profonde reconnaissance envers l’Agence spatiale européenne pour son soutien constant à la Commission de l’Union africaine. Le partenariat Afrique-Europe dans l’OT est un exemple puissant de ce que la collaboration peut accomplir.

Il a annoncé le lancement prochain d’un nouveau programme de partenariat spatial Afrique-Europe, axé sur l’implication du secteur privé et le renforcement des capacités. Il a invité tous les acteurs à œuvrer ensemble pour bâtir un avenir intégré, prospère et pacifique—un avenir où l’OT servira de phare de progrès pour le continent africain et au-delà.


Sources:


[EN]

Africa at a Decisive Turning Point: The Role of Earth Observation

The African continent is at a pivotal moment, with Earth Observation (EO) playing a crucial role in addressing its unique challenges and unlocking its vast potential. On September 23, 2024, during the opening speech at the EO Africa Symposium, Dr. Tidiane Ouattara, President of the African Space Agency Council (AfSA), highlighted the progress Africa has made in space activities and outlined a roadmap for a sustainable and integrated future.

A Milestone for the African Space Sector

This speech comes at a defining moment for the African space sector, emphasizing the potential of space to stimulate development, innovation, and sustainability. Through concerted efforts and strengthened collaboration between Africa and Europe, the vision of a thriving African space ecosystem is now within reach.

A Historic Dialogue for African Leadership

For the first time since his election in February 2024, Dr. Ouattara addressed a European audience as President of the AfSA Council. He expressed gratitude to the leaders of African and European space agencies, as well as to the European Commission and the European Space Agency (ESA), whose support has been instrumental in creating AfSA.
AfSA, serving all 55 African nations, is the result of visionary policies by the African Union (AU), recognizing space as a key enabler for achieving the Agenda 2063 goals. However, as Dr. Ouattara noted, EO is just one of four key segments of Africa’s space strategy. Satellite communications, navigation, and astronomy must also be integrated into a comprehensive approach.

An Overview of Africa’s Space Economy

Africa’s space sector shows promising growth, but EO remains a small player in the global market, accounting for just 0.88% (approximately $170 million USD). Despite notable growth of 13.83% between 2019 and 2021, Africa faces significant challenges: the current 245 ground infrastructures are insufficient for a continent spanning 30 million square kilometers.
Collaboration between nations, sectors, and institutions is crucial to strengthen existing capacities and optimize the use of space technologies. As Dr. Ouattara emphasized, space is not just about technical innovation—it is a strategic lever for sustainable development.

The EO Ecosystem and Sustainable Development Goals (SDGs)

Dr. Ouattara described Africa’s EO ecosystem, encompassing the public sector, private sector, academia, and NGOs. Traditionally dominated by the public sector, this ecosystem must evolve to involve the private sector more actively and adapt academic training to market needs.
EO plays a central role in addressing cross-cutting challenges such as water scarcity, climate change, and agriculture development. However, with only 169 EO projects currently in operation across the continent (an average of three per country), its potential remains underutilized. Dr. Ouattara emphasized the need to scale up efforts, particularly in critical areas like agriculture, where some countries could support up to 10 projects or more.

GMES & Africa: A Pan-African and Collaborative Success

The GMES & Africa (G&A) program perfectly illustrates the transformative power of collaboration between Africa and Europe. Led by the African Union Commission with the support of the European Commission, the program demonstrated Africa’s ability to collaborate effectively despite differing priorities.
Dr. Ouattara highlighted the trust placed by the European Commission, not only in funding the program but also in allowing the African Union to take the lead. This autonomy delivered tangible results, such as combating food insecurity, fostering regional integration, and promoting concrete solutions to address the continent’s challenges.
Among its notable achievements, the program trained over 10,000 young Africans, building a local skills base to sustain the development of the space sector. Additionally, G&A fostered the creation of inclusive networks critical for a sustainable ecosystem. The Women in G&A initiative, which started with a small group, now includes over 200 women in the space field. Another success is the academic consortium of over 40 Francophone and Anglophone universities, strengthening scientific and educational cooperation on a pan-African scale.
These initiatives demonstrate that G&A is not just a technical success but a driver for empowerment, cohesion, and sustainability in EO across Africa.

A Strategic Challenge Rather than a Financial One

The development of African EO companies faces significant challenges, and while funding is crucial, it is not the sole obstacle. As Dr. Ouattara emphasized, the main issue lies in entrepreneurial approaches rather than access to funds. For instance, to secure sustainable financing, scientists and entrepreneurs must convince decision-makers that priorities like food security and water management require scientific and technological innovations grounded in EO.
Currently, most African EO companies rely on limited startup strategies, often referred to as bootstrapping, to finance their activities. Unfortunately, studies show that many of these companies fail within three to five years, due to insufficient resources and a lack of structural frameworks. This highlights the urgency of establishing robust regulatory frameworks to support the private sector while fostering collaboration with academia. Such cooperation would help transform research into market-ready products and services.

Trends Redefining the EO Sector

Meanwhile, global technological trends are rapidly transforming Africa’s EO sector. The advent of the New Space era has made EO more affordable and accessible, enabling governments to integrate it into key economic sectors. Innovations such as Artificial Intelligence (AI) and the democratization of data make EO data not only more accessible but also actionable, which is crucial for generating value and encouraging widespread use.
Facilitating, rather than restricting, access to data is essential to stimulate innovation and create economic opportunities. Companies that can combine these technologies with a clear understanding of local and regional needs will gain a competitive edge while addressing the continent’s critical challenges.

A Call for an Integrated Approach

To unlock the full potential of Africa’s EO ecosystem, an integrated approach is necessary. This includes strengthening regulatory frameworks, mobilizing strategic funding, and fostering increased collaboration between the private sector, public sector, and academia. By aligning scientific priorities with decision-makers’ needs and embracing emerging technologies, Africa can transform its EO sector into a driver of innovation and sustainable development, capable of meeting local needs while contributing to regional and continental prosperity.

A Shared Vision for the Future

In conclusion, Dr. Ouattara expressed his deep gratitude to the European Space Agency for its steadfast support of the African Union Commission. The Africa-Europe partnership in EO is a powerful example of what collaboration can achieve.
He announced the upcoming launch of a new Africa-Europe space partnership program, focused on private sector involvement and capacity building. Dr. Ouattara called on all stakeholders to work together to build an integrated, prosperous, and peaceful future—a future where EO serves as a beacon of progress for Africa and beyond.











Comments

Top 10 most viewed articles